Guerre de 14/18 - épisode 4
A l'approche de Noël
Les lettres de mon grand-père échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.

Mon cher Papa,
Nous sommes en plein combat. Je n’ai jamais rien vu de pareil. Je viens de rester trois heures aux pièces comme tireur. Mes idées sont éparpillées il faut que je les coordonne un peu.
Figurez-vous que depuis trois semaines nous avons fabriqué des abris-casemates où sont logées nos pièces. Le bruit se décuple et c’est assourdissant. La fumée enivre et étouffe, la plate-forme poisse et glisse. Nous commençons à tirer un et deux coups par pièce mais bientôt c’est quatre par pièce puis six par pièce.
Alors imaginez-vous pendant près de trois heures, des 4, 6, 8, 12 coups par minute et par pièce. Une griserie vous prend et je tire sur ce cordon tire-feu avec frénésie. Il y a une fumée là-dedans ! Un vibrement qui, de douleureux finit par n’être plus qu’un bourdonnement prolongé et ininterrompu.
On a envie de hurler et de rire, de rire nerveusement, hystériquement !

Mais les Boches nous ont repérés et leurs 77 et 88 viennent dégringoler autour de nous. Voilà une demi-heure qu’il nous pleut des obus autour de nous et je ne m’en suis pas aperçu, on ne les entend pas venir, on ne les voit pas tomber et la danse terrible continue.
Mon cher Papa il faut que sûrement nous rentrions tous deux au foyer il le faut absolument et je vous assure bien que ce n’est pas ces infects Boches qui nous arrêteront. J’ai vengé Pappias (voir épisode 3) et j’en suis content.
Adieu cher Papa, je vous embrasse bien tendrement.
Ma chère Maman,
Merci pour votre bonne lettre et pour le paquet de « La Belle Jardinière » contenant une paire de gants,une blague, du fil des aiguilles et des ciseaux.
J’ai passé un Noël saumâtre mais pour nous il n’y a ni dimanches ni jours de fêtes. Les Allemands ont hurlé dans leurs tranchées et nous leur avons donné l’accompagnement avec quelques coups de 90.
Nous n’avons nullement reçu des colis du « Petit Paquet ». Il y a beaucoup de fumisterie dans les administrations. Il n’y a pas un tiers de ce que l’on envoie aux soldats qui leur parviennent.

Les Allemands ne font plus de prisonniers et nous non plus. Tout prisonnier est fusillé. Il y a du bon et du mauvais, on sait au moins à quoi l'on s'expose quand on est pris par les Boches.
On nous parle toujours d’une grande attaque générale mais quand viendra-t-elle ? Nous commençons à trouver le temps long à Prunay. Nous faisons des fortifications comme si nous devions rester ici mille ans.
Ah! ce m’aura été une rude leçon où l’on apprend beaucoup, je vous assure. Puissions-nous nous retrouver tous bien portant après ce cauchemar.
Adieu chère Maman. Votre fils qui vous souhaite une heureuse année et qui vous aime de tout son cœur.

Mon cher Robert,
J'attendais impatiemment ta lettre. Dans ces tristes jours de la cruelle année qui finit je ne puis assez souhaiter pour toi que tu conserves ta belle énergie.
Oui mon cher petit, j'ai lu souvent à travers les lignes tout ce que tu me cachais, sur quoi tu glissais pour ne pas nous effrayer mais c'est une preuve de ton affection. Si tu ne veux pas que nous te plaignions nous comprenons ton courage, tout ce que tu supportes depuis cinq mois.
Nous qui aimions tant te gâter un peu pour Noël, que cela est triste et vide notre famille sans ton Père, sans toi, sans Pierre! Nous sommes allées à la messe de Minuit pour ne pas rester si seules à vous attendre quand l'année dernière j'avais eu la joie de te voir, de t'embrasser en bonne santé.
Courage mon petit, tu remplis ton devoir pour ta Patrie. Dieu te voit et ton Père, ta Mère, tes frères et soeurs te suivent dans ta vie courageuse. Je ne forme pas de souhait pour 1915 que celui de nous voir tous réunis, ce serait un si beau jour et que le temps me pèse en attendant!
Ecris-moi vite mon chéri. Je t'embrasse du fond du coeur; que ne puis-je partager tes peines et tes souffrances!
Ta mère qui t'aime.

Ma chère Maman,
J'ai reçu votre bonne lettre du 24, celle que vous avez écrite pendant la nuit de Noël. Je vous en remercie beaucoup.J'ai bien reçu le colis. L'Etat a bien voulu me donner une nouvelle paire de chaussures mais la vôtre me fera quand même bien plaisir.
Ah! quel affreux Noël nous avons passé dans l'eau glacée avec un vent froid à décorner les boeufs. Vous croyez que je me faisais du mauvais sang! Ah détrompez-vous, je suis devenu très flegmatique m'assurent mes camarades et mes chefs.
J'observe beaucoup et je constate que les civils sont loin de connaître l'entière vérité et après la guerre il y aura beaucoup à apprendre.
Je constate que la vie est une chose essentiellement futile, essentiellement passagère et qu'il faut en chercher la quintessence du bonheur en méprisant le malheur.
Je ne peux me raser que très irrégulièrement et cela me gêne beaucoup car je tiens à me tenir le plus proprement possible car rien ne dégrade comme la saleté.
Je suis bien heureux que papa ne souffre pas trop de la campagne. Moi non plus je n'ai pas maigri, j'ai un appétit d'enfer. Je ne dors pas très bien mais cela n'a que fort peu d'importance.
Je crois que nous ne nous reverrons pas avant l'été mais quelle joie quand nous nous retrouverons. Je crois que nous pourrons tuer le Veau Gras. Pour le moment nous sommes à la peine mais un jour viendra où nous nous aimerons encore davantage.
Il fait froid pour le moment mais d'une mauvaise façon car l'atmosphère est imprégnée d'eau et les chemins sont des bourbiers. Cette Champagne crayeuse ne cesse de faire de la boue. Mais qu'attendons-nous, palsambleu, pour attaquer.
Nous faisons de réelles fortifications et je vous assure que le soir, quand on a pataugé dans la boue grisâtre, que l'on a reçu la pluie glacée, les obus, les marmites, le vent glacial, que l'on a promené les chevaux, tiré des coups de canon, brouetté de la glèbe, fabriqué des gasunies et des gabions, réparé les routes changées en fondrières et toujours, toujours avec ce marais, cette eau maîtresse partout, je vous assure que l'on est parfois fatigué.
Mais je ne cherche pas à comprendre, je suis l'infime molécule de la masse agissante, j'essaierai d'en tirer ma peau, espérons-le.
Enfin, adieu chère Maman, chères petites soeurs. Nous allons entendre la nouvelle année, s'amuser au milieu des shrapnells, qu'importe et qu'elle soit la bienvenue.
Votre fils qui vous embrasse tendrement.
Je remercie beaucoup @artzanolino qui a eu la gentillesse de me prêter deux de ses oeuvres pour illustrer cet épisode.
Je vous invite à faire un tour sur son blog, vous y trouverez des tableaux pleins de poésie et de réflexions dans un univers très coloré. Thank you so much @artzanolino.